Hadopi largement censurée par le Conseil constitutionnel

Les Sages estiment notamment qu’il ne peut y avoir coupure de l’accès internet sans décision judiciaire. Ce que tous les détracteurs du texte dénonçaient jusqu’à présent. Christine Albanel et le gouvernement devront trouver autre chose…

C’est non. Saisi par le Parti socialiste en mai dernier, le Conseil constitutionnel vient de censurer en grande partie la loi Hadopi qui vise à combattre le téléchargement illégal. Ce qui pour le gouvernement devait être une formalité se transforme en cauchemar éveillé. Aujourd’hui, il lui faut donc repartir de zéro ! Les attendus des sages de la rue Montpensier, gardiens des droits et libertés constitutionnellement garantis, ont en fait retoquer ce qui était le plus critiqué : permettre à une autorité administrative de décider de couper l’abonnement d’un internaute en cas de téléchargements répétés, sans décision judiciaire, dans le cadre de la fameuse riposte graduée (article 5 et 11). L’Hadopi pourra néanmoins avertir, mais plus sanctionner.

La loi n’est donc plus qu’une coquille vide. Lire la décision complète du Conseil constitutionnel Présomption d’innocence Considérant qu' »Internet est une composante de la liberté d’expression et de consommation », et qu' »en droit français c’est la présomption d’innocence qui prime », le Conseil indique que « c’est à la justice de prononcer une sanction lorsqu’il est établi qu’il y a des téléchargements illégaux ». Et de préciser : « La liberté de communication et d’expression, énoncée à l’article 11 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, fait l’objet d’une constante jurisprudence protectrice par le Conseil constitutionnel [|…] Cette liberté implique aujourd’hui, eu égard au développement généralisé d’internet et à son importance pour la participation à la vie démocratique et à l’expression des idées et des opinions, la liberté d’accéder à ces services de communication au public en ligne« .

Le rôle de la Haute autorité (Hadopi) est d’avertir le téléchargeur qu’il a été repéré, mais pas de le sanctionner », conclut le Conseil. C’est clair comme de l’eau de roche. Cette position rejoint surtout celle des détracteurs du texte qui se sont battus des mois durant pour faire plier le gouvernement.

Le Conseil valide également le vote des députés européens qui ont adopté un amendement excluant justement la coupure du Net par une autorité qui ne dépend pas de la justice. Par ailleurs, le loi prévoyait que c’est à l’internaute de prouver que l’adresse IP repérée par les ayants-droit n’était pas la sienne.

Un point également rejetée par les Sages. Pour eux, « en méconnaissance de l’article 9 de la Déclaration de 1789, la loi instituait ainsi, en opérant un renversement de la charge de la preuve, une présomption de culpabilité pouvant conduire à prononcer contre l’abonné des sanctions privatives ou restrictives du droit« .

Camouflet 2.0

C’est un véritable camouflet pour le gouvernement et principalement pour la ministre de la Culture Christine Albanel qui a fait de ce texte une priorité. Un texte qui n’a jamais vraiment convaincu puisque les députés l’avaient déjà rejeté grâce, il est vrai, à l’absentéisme des députés de la majorité. Vivement critiqué, au sein même de la majorité, dénoncé par les associations de consommateurs, par de nombreux artistes, liberticide, impossible techniquement à appliquer, la loi Hadopi n’est plus.

Désormais, le gouvernement devra complètement revoir sa copie en remettant, par exemple, la justice au centre de la riposte graduée, une option qu’il refusait, expliquant que les délais de décision seraient bien trop longs. Et si le Conseil constitutionnel n’avait pas censuré la loi Hadopi… ZDNet.fr a imaginé deux scénarios de politique-fiction

Par Olivier Chicheportiche, ZDNet France

Le projet de loi Hadopi définitivement adopté

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Projet de loi Hadopi

Le projet de loi Hadopi définitivement adopté Après les députés, les sénateurs ont approuvé le projet de loi Création et Internet sanctionnant le téléchargement illégal, mercredi 13 mai.

Le texte est ainsi officiellement adopté : le Sénat a largement voté en faveur du texte (189 voix pour, 14 voix contre), sans apporter d’amendements, La majorité UMP et Union centriste a voté pour, tandis que la gauche PCF et PS ont choisi de ne pas prendre part au vote.

Mardi, les sénateurs socialistes avaient annoncé qu’ils ne participeraient pas au vote et qu’ils ne déposeraient pas d’amendements, après avoir approuvé le texte en première lecture, puis s’être abstenu en Commission mixte paritaire (CMP).

Pourtant, la socialiste Samia Ghali a quand même voté contre, tout comme les sénateurs Verts, les centristes Nicolas About et Jacqueline Gourault, l’UMP Jean-Louis Masson et le fondateur du Parti de gauche, Jean-Luc Mélenchon.

Cet ultime vote constitue l’épilogue d’un feuilleton à rebondissements sur un texte dont le parcours parlementaire a commencé en octobre dernier. Après les premières lectures dans les deux chambres, le projet avait été rejeté à la surprise générale par les députés, il y a un mois, dans la version issue de la CMP.

« PAS DE VIOLATIONS DU DROIT COMMUNAUTAIRE EUROPÉEN » Quelques minutes à peine après l’annonce du Parlement, la commissaire européenne chargée des nouvelles technologies, Viviane Reding, a annoncé que le droit européen ne contredisait en rien le projet de loi Hadopi, même si ce texte lui déplaît « politiquement », selon un de ses porte-parole.

Au début du mois de mai, les eurodéputés ont pourtant approuvé l’amendement 138 du « paquet Télécom » qui semblait contredire le projet de loi français. Les eurodéputés avaient en effet estimé que la suspension de la connexion à Internet d’un internaute convaincu de téléchargement illégal ne pouvait intervenir que par décision de justice et non à la seule initiative d’une autorité administrative.

Dans le projet français, c’est en effet une autorité administrative et non judiciaire, l’Hadopi qui donne son nom à la loi, qui décide des coupures d’accès.

« Il y a peut-être des problèmes avec Hadopi au regard du droit national, c’est à la justice française d’en décider. Mais je n’ai aucune indication quant à des violations du droit communautaire européen et je ne vois rien légalement dans l’amendement 138 qui pourrait modifier cette situation« , a cependant déclaré Mme Redding.

Les propos de Mme Reding rejoignent donc ceux tenus par la ministre de la culture française, Christine Albanel. Celle-ci avait déclaré, après le vote des eurodéputés, que le projet de loi Hadopi « n’étais pas remis en cause » car « l’accès à Internet à son domicile ne s’est vu reconnaître le statut de ‘liberté fondamentale’ à l’égal, par exemple, de la liberté de croyance, de la légalité des peines ou du droit de propriété, dans aucun pays du monde ».

Pour Vivian Redding, le calcul est simple : « Un amendement à une directive européenne ne peut ni modifier le partage des compétences entre l’UE et les Etats membres ni étendre le champ des droits fondamentaux européens aux décisions nationales« , a-t-elle expliqué.

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